Déjà 3 semaines que la cour était  inondée de moitié, et le niveau ne cessait de monter. Les villages environnants avaient déjà disparu sous les flots. Mais Kriped n’avait pas eu le temps de pleurer les serfs. Son devoir l’avait immédiatement appelé auprès de son roi Lah-Eth. En tant que cousin du suzerain,  élément qui lui avait valu son statut de conseiller, sa seule préoccupation était  le sort du roi. Même sa propre famille passait ensuite.  Après tout, il avait été très jeune habitué à servir le roi, de quelques dizaines d’années plus âgé que lui, dans l’optique même d’être capable de le remplacer en cas de besoin, Lah-Eth n’ayant toujours pas de petit héritier. Faisant partie de la famille royale, Kriped était le désormais triste veuf de la comtesse de Branches, qui lui avait donné deux garçons avant d’être emportée par les flots.

Dès lors que les pluies avaient dépassé 5 jours, il s’était réfugié avec sa maisonnée dans le château. Il avait d’ailleurs pu constater que la plupart des privilégiés avaient eu recours à la même solution. Les privilégiés… Le seul héritier légitime du trône y avait déjà beaucoup réfléchi : le règne n’allait pas bien à son cousin. Il l’avait rendu égoïste, manipulateur et bien différent de ce qu’il était au départ. Les inégalités au sein du peuple étaient désormais flagrantes, et malgré les retours heureux et fiers des habitants de Vaestre, Lah-Eth menait une justice sévère, peut-être trop. Kriped, lui, vivait le règne de l’intérieur. Seul lui et les membres de la cour connaissaient vraiment le roi et ses caprices. Et ce roi ne lui plaisait guère. Du moins c’est  ce qu’il avait conclu à première vu, mais en méditant plus sérieusement, Kriped avait fini par soulever une autre question : n’était-ce pas finalement le système en lui-même qui avait pour conséquence toutes ces injustices ?  Une seule personne pouvait-elle  vraiment tout gérer ? Que faire alors si cette personne n’était plus aussi vertueuse ? Voilà les pensées qui habitaient l’esprit de Kriped peu avant le début du déluge, et plus encore après.

Trois semaines donc, qu’il restait confiné dans le château royal aux côtés de son cousin. C’était sans compter les ouragans dévastateurs qui soufflèrent  ensuite sur le pays. « Dévastateurs» est le mot qui lui vint en premier, alors qu’il assistait à l’agonie des pauvres Vaestrins. « Salvateurs » est le mot qui lui apparu beaucoup plus tard. Entre temps, Kriped avait vu en la catastrophe une occasion de tout recommencer, sans reproduire les erreurs des autres rois, en ne réutilisant que leurs atouts. Entre temps, Kriped avait amorçé la démocratie.